Les chemins de la difficulté

 Pourquoi monter au sommet par les chemins difficiles alors qu'un sentier paisible y mène également?


Que se soit en alpinisme, en escalade ou en ski, la difficulté est très souvent liée à l'engagement (risque de mauvaises chutes dans les terrains alpins) ou a la douleur physique. Le corps est mit à rude épreuve et les mouvements extrême peuvent être traumatisants.    

Quel est le facteur qui anime notre volonté à parcourir les chemins difficiles? Que va t-on y chercher? Quel satisfaction y trouve t-on ? Sommes nous les fameux "conquérants de l'inutile"?


Conquérants de l'inutile?
 Plusieurs réponses sont possibles:

L'esthétisme en est une. Les lignes difficiles sont souvent d'une beauté pure où nos yeux s'accrochent, trahissant ainsi nos pensée: "un jours..."
Mais il existe aussi des voies parfaites et harmonieuses dans des niveaux techniques accessibles.

Le vide est une autre réponse. Évoluer dans une autre dimension, celle de la verticale est "grisant". Le "gaz" des hautes parois et des lignes fuyantes peut agir comme une drogue! Progressivement, nos projets prennent de la hauteur et de l'inclinaison pour palier à notre accoutumance. Et de pouvoir se dire à nouveau: "Houa! Excellent! Cette ambiance de fou!!" 

Mais il existe une autre dimension à ce voyage progressif dans la verticalité. Le vide, l'esthétisme et la ligne en sont le décor.
Il y a quelque chose d'autre pour nous dans la recherche de la difficulté. Quelque chose qui nous incite sans cesse à retrouver et à revivre ces situations où l'on se trouve comme "happé" dans un monde parallèle.
Quels sont donc ces profonds phénomènes qui nous animent dans l'audacieuse difficulté?

Cette réflexion est partagée par une série de commentaires de personnes, pour la plus part grimpeurs, skieurs et alpinistes. Cette liste est faite pour s'agrandir! De jours en jours, de nouvelles pensées verront ici le jours. Vous pouvez y participer. Lorsqu'elles seront assez nombreuses, une synthèse sera publier si c'est possible bien sûr!

Qu'est-ce que la difficulté vous procure? Qu'allez vous y chercher? Quel est votre état d'esprit dans un passage difficile et les sensations qui y sont associées?

Raphaël, alpiniste
"je suis entièrement dans le présent, ma place est ici et maintenant. C'est un incroyable sentiment de  liberté morale et physique"

Stéphanie Bodet, grimpeuse de haut niveau et alpiniste
 Qu'est-ce que la difficulté te procure?
"Je n'ai jamais été attirée par la facilité, par ce qui tombe tout seul du ciel. 
J'apprécie mieux une réussite si elle m'a demandé pas mal d'effort et quelques combats. Je me suis souvent posé des questions par rapport à cette recherche non pas tant de la difficulté mais de la nouveauté, de l'inconnu et de l'aventure. Je n'ai jamais été très douée pour faire des croix dures en couennes car je n'en avais pas la patience et puis les ambiances de stade qu'on trouve dans certaines falaise me conviennent de moins en moins.

Par contre essayer quelque chose à mon niveau max dans un style totalement nouveau pour moi me motive vraiment. Il y a la période d'apprentissage, celle que j'aime le plus finalement, comme dans le cas de Free Rider par exemple. Déchiffrer le rocher, trouver des méthodes ou des solutions pour grimper une fissure large qui me fait peur. Je trouve ces moment de découverte totalement jubilatoires !

Que vas-tu y chercher?
L'intensité d'un passage, sa difficulté ou l'engagement font qu'on atteint un état de concentration que je ne retrouve pas tellement ailleurs dans ma vie sauf lorsque je fais quelque chose d'autre qui me passionne et qui m'absorbe complètement. Le temps passe différemment aussi, il semble s'élargir. Tu es véritablement dans l'instant et tu vis plus intensément. 
Et puis j'ai une utopie de poète: J'aimerais parvenir à grimper en artiste ou en vieux sage. En lâchant complètement prise ! En étant complètement indifférente au but à atteindre, à la croix à réaliser. Devenir poreuse comme le rocher et m'y fondre complètement. Grimper pour m'oublier, pour briser l' ego en mille morceaux. 
 Ce qui contrarie parfois cet idéal c'est que la croix, sans laquelle une performance n'existe pas pour bien des grimpeurs, a justement l'effet contraire. Les cotations et les réalisations ont tendance à renforcer l'ego. En occident, nous avons une culture trop marquée par l'action et le but et je comprends Chris Sharma qui ouvrait à l'époque des blocs à Bishop sans les coter.  
C'est aussi pour cela que j'aime tant l'ambiance des grandes voies qui te ramène à une humilité et à de plus humbles proportions de petite fourmi juste de passage... Tu es immergée dans un univers, un paysage, une vie en paroi que tu traverses: une petite fleur dans une fissure, un vieux cade aux formes tourmentées, les hirondelles qui valsent à tes côtés. La vraie vie, quoi, dans toute sa beauté et sa fragilité... 

-Et quel est ton état d'esprit dans un passage difficile et les sensations qui y sont associées? 

Je sais que plus je suis détachée de l'idée de réussite, plus ça va marcher et plus cela va m'apporter. Alors j'essaie de ne pas me projeter vers le relais, de ne pas analyser, de ne pas raisonner, genre "merde je suis déjà pétée" ou alors "qu'est ce que je randonne aujourd'hui!"... On a tous tendance à le faire en grimpant. On se regarde grimper et tout à coup, nous voilà sortis du moment, du mouvement et de l'enchaînement. Pour éviter cet écueil, je me concentre sur l'instant, sur les prises, sur ma respiration et j'essaie de grimper déliée, sans trop serrer les prises, sans me juger. Il faut parvenir à trouver cet équilibre précaire entre un minimum de volonté et même d'agressivité dans certains passages et en même temps, de sérénité et de détachement. Ces moments où j'arrive à tenir sur ce fil sont rares mais d'autant plus forts."

Estelle Dall'agnol, membre du groupe excellence FFCAM féminin 
"Je cherche cette harmonie rare entre le corps et l'esprit.  Là, je ne pense plus à rien et je me sens libre. Ces moments sont éphémères et difficiles à éprouver à chaque fois"

  
Laurent Girousse, alpiniste, Guide de haute montagne
"Je trouve une concentration très forte dans les passages difficiles. C'est comme si j'entrais dans un autre monde" 

Yannick, BE escalade, skieur
"La difficulté permet de sentir la maîtrise de mon corps et de mon esprit dans l'élément choisi (neige, rocher). Il arrive que j'entre dans un état second, comme si je me détachais de moi même. Alors, la douleur de l'effort n'est plus ressentie, mon corps est programmé pour l'objectif."

Arnaud Petit, grimpeur de haut niveau, alpiniste et guide
"Me mettre face à la difficulté c'est rechercher :
un enrichissement personnel. C'est devoir affronter des difficultés qui vont me demander de l'énergie, de la réflexion, m'imposer de prendre du recul et me faire évoluer. 
C'est le cas quand je fais des photos, quand je grimpe, quand j'écris et dans tous les domaines qui me passionne; en cuisine je vais souvent vers la facilité mais de moins en moins, car même dans ce domaine qui me passionne pas plus que cela je me rends comptes qu'en essayant de faire un peu plus compliqué cela donne un sens à ce que je vais manger et je transforme cet acte vital en plaisir. D'ailleurs certains en font même un art.

En montagne, c'est la même chose, en se contentant du facile, je suis dans un domaine de l'ordre du récréatif (à la limite comme regarder la tv avec en plus la satisfaction des endorphines). Et si ma pratique se résume à cela, c'est très vide, c'est même avilissant à la longue, parce que ça ne m'apporte rien, je n'évolue pas, et lorsque je fais les choses avec passion, je ne peux pas me contenter du facile ou du simple fun.

Dans la recherche de la difficulté il y a aussi la recherche de l'inconnu, avec la question : est ce que je suis capable? 
Parfois seul l'inconnu au sens nouveauté me suffirait mais souvent justement parce que c'est nouveau je me retrouve face à des difficultés à surmonter.

Dans ce cas, mon état d'esprit est celui d'aborder les choses avec tous les sens en éveil, être concentré à 100 %, être dans ce qu'on fait sur le moment, être vraiment en vie quoi! Est ce que je suis assez en forme pour tenter le truc? est ce que j'ai bien vu toute les prises? quelles sont les conséquences d'une chute? et d'abord est ce que je risque vraiment la chute?... toutes ces questions se mélangent et je dois donner une réponse rapidement et faire le bon choix."


Fred Degoulet, alpiniste, glaciairiste et a. guide de haute montagne
" 3 choses: 
- je ressens dans les passages extrêmes une sorte de dissociation corps/esprit. Comme si les mouvements étaient contrôlés par un "autre moi". Et ces mouvements sont justes, optimums!
- le faite de me mettre dans des situations précaires et d'inconforts me permet également d'apprécier, une fois rentré à la maison, les choses simples du quotidien.
- cela me procure aussi une reconnaissance gratifiante dans le milieu de la montagne"

Nicolas Draperi, alpiniste, skieur, a.guide de haute montagne 
"Grimper des murs (roche ou glace) est au final une confrontation avec l'inconnu. L'enjeu peut en être la mort. Dans cet engagement total et son acceptation, mon corps et mon esprit fusionne; l'équilibre est parfait." 

Tom Vialletet, grimpeur, alpiniste, a.guide de haute montage
"Pourquoi la difficulté? Parce que c'est bon! Je repousse mes limites en grimpant. C'est gratifiant de se voir progresser dans une activité. J'apprends de nouvelles techniques, je m'adapte aux passages et en quelque sorte je"grandi", j'évolue."

Antoine Charle, grimpeur:
"Tester mes limites dans les voies difficiles, en plus de la satisfaction de la progression, me permet de mieux me connaitre. La difficulté me donne des clés à mes questions" 

Matthieu de quillack, aventurier, pilote d'hélico
"Parce que:"Le chemin difficile est le chemin paisible pour moi " 
 Parce que : l'effort est le plaisir 
 parce que : le désir existe
 parce que: l'énergie se trouve dans le vide 
 parce que: LA VIE!" 

Rémi thivel, alpiniste, guide de haute montagne et professeur à l'ensa
"Dans un passage difficile que je ne suis pas sûr de réussir, je me demande d'abord ce que je fais là. Ensuite je me dis que je ne suis pas là par hasard et que de toutes façons je n'ai pas le choix. Puis je pense à la joie immédiate que j'aurai à l'avoir surmonté et au bonheur que me procurera la course dans les jours suivants pour mieux apprécier (ou supporter ?) le quotidien."


Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de s'installer tranquillement pendant un moment et de se rappeler l'une des dernières fois où l'on a aborder un passage, une voie technique et difficile. Là, on peut revivre à l'authentique ces situations, dans notre esprit. Et remarquez, observez vos sensations à cet instant.